> Les roches gravées de Montravail (Sainte-Luce, Martinique)  




L’opération archéologique de 2015


Sébastien Perrot-Minnot
Archéologue du bureau d’études EVEHA
Chercheur associé à l’EA 929 AIHP GEODE (Université des Antilles)
perrotminnot@yahoo.fr 

         Les roches gravées de Montravail représentent un des deux sites d’art rupestre amérindiens connus en Martinique -l’autre étant celui du Galion, à La Trinité. Elles se trouvent à environ 3,5 km de la côte sud de la Martinique et 200 m d’altitude, tout près de la forêt de Montravail. Le terrain est occupé par un chaos rocheux, dans lequel on a identifié cinq blocs d’andésite ornés (les Blocs A, B, C, D et E), sur une surface de 18 x 8 m (Figure 1). Les pétroglyphes, produits par les techniques du piquetage et du bouchardage, montrent principalement des visages stylisés. En périphérie du secteur des roches gravées, de probables cupules (petites cavités artificielles circulaires façonnées dans la pierre) ont été découvertes.


Figure 1 : Partie centrale du secteur des roches gravées de Montravail. Photo : Sébastien Perrot-Minnot (2014).

         Les pétroglyphes de Montravail ont été signalés au Musée d’archéologie de la Martinique par Jean Crusol, en 1970 ; cet universitaire avait été informé de leur existence par le propriétaire du terrain, Taylor Choux. Par la suite, ils ont suscité plusieurs études (Mattioni 1973, Petitjean-Roget 1975, 2015, Gilbert 1990, Vidal 1993, Dubelaar 1995, Jönsson Marquet 2002). En 2007, le site a fait l’objet d’un diagnostic de l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives). Une faible quantité de tessons de céramique non tournée a alors été mise au jour (Casagrande 2009, 2014). En 2009, la parcelle sur laquelle reposent les blocs ornés a été acquise par la municipalité de Sainte-Luce. A la demande de cette dernière, des expertes du Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques ont effectué un bilan sanitaire et un nettoyage des roches gravées, tout en formulant des préconisations pour leur conservation (Touron et Oral 2010).
  En 2015, l’auteur de ces lignes a conduit une opération archéologique visant à mettre en lumière l’affiliation culturelle et la chronologie des pétroglyphes de la Martinique, et à évaluer dans quelle mesure ces derniers pouvaient permettre de caractériser les groupes humains concernés, et les relations qui se sont établies entre eux (Perrot-Minnot et al. 2015). L’ « opération de contextualisation de l’art rupestre amérindien de la Martinique » a été menée dans le cadre de l’EA 929 AIHP GEODE (Université des Antilles), et financée par la Direction des Affaires Culturelles de la Martinique, à travers l’association Ouacabou. Elle a mobilisé trois responsables de secteur : Eric Gelliot (INRAP), Philippe Costa (Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne) et Benoit Bérard (Université des Antilles), qui s’est chargé de l’analyse de la céramique précolombienne. 
  Par ailleurs, l’opération a bénéficié de la participation de quatre étudiants (Miranda Brintnell, Sandrine Cadasse, Marine Durocher et Nicolas Eugène), de l’implication active du Service Régional de l’Archéologie, et des soutiens de la Mairie de Sainte-Luce, du bureau d’études archéologiques EVEHA, du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) de Martinique et de l’Exploitation Agricole du Galion.
  
  Dans le cadre de l’opération, à Montravail, nous avons réalisé une prospection systématique, dans et autour du secteur des roches gravées (sur une surface d’environ 2400 m²) ; un relevé photogrammétrique des pétroglyphes, qui a été utilisé pour produire des dessins ; quatre sondages, de 0,8 à 1,25 m², au pied des Blocs A, B et E, et à l’ouest du Bloc F ; et un relevé topographique pratiqué à l’aide d’un tachéomètre et d’un GPS (Figure 2).
 
Figure 2 : Plan du site de Montravail, faisant apparaître les sondages ouverts par Fabrice Casagrande (INRAP) en 2007, et ceux de notre opération. Topographie : Eric Gelliot et Philippe Costa. Dessin : Marine Durocher.


  Nos travaux nous ont permis de mieux appréhender les caractéristiques, la formation et la disposition des roches. Nous avons été intrigués par l’alignement de rochers qui forme comme un passage menant à la roche principale (le Bloc A). Il pourrait s’agir d’un aménagement ancien du site ; notons qu’au Galion et sur le site d’art rupestre de la propriété Derussy, en Guadeloupe (Richard 2009), des rochers semblent aussi avoir été déplacés par l’homme. A Montravail, par ailleurs, nos recherches ont apporté de nouveaux éléments relatifs à l’iconographie ; en particulier, de nouveaux visages ont été reconnus sur le Bloc A (Figures 3, 4).


 Figure 3 : Photogrammétrie du Bloc A de Montravail, par Thomas Creissen et Nicolas Saulière (EVEHA).


Figure 4 : Dessin du Bloc A de Montravail, par Philippe Costa.


  Concernant les sondages, ils ont révélé une stratigraphie relativement claire, composée de couches limoneuses et argilo-limoneuses, recouvrant un substrat argileux. Celui-ci a été atteint à moins de 60 cm de profondeur, dans tous les cas. Au pied du Bloc A, le Sondage 2 a montré une unité stratigraphique (l’US 201) plus épaisse que les autres, et n’apparaissant nulle part ailleurs. Cette couche de couleur brune pourrait correspondre à une modification artificielle du terrain devant la roche principale et/ou à une accumulation des sédiments contre l’alignement de rochers mentionné plus haut (Figure 5). 


Figure 5 : Coupe stratigraphique du Sondage 2 de Montravail. Dessin : Philippe Costa et Marine Durocher.


  Les sondages ont livré un matériel précolonial rare mais intéressant. Celui qui a été ouvert au pied du Bloc E (Sondage 1, Figure 6) a déterré, sur la paroi de cette roche gravée, à une profondeur de 39 cm, une série de 15 points piquetés. S’agirait-il de l’ébauche d’un pétroglyphe ? Le même sondage a livré 20 tessons précolombiens, malheureusement trop érodés pour les rattacher à une phase particulière ; un morceau d’ocre, qui a pu servir à peindre le bloc ; et un fragment de dacite, une matière que l’on ne trouve pas dans cette zone, et qui a pu être utilisée pour travailler la roche. Les tessons, l’ocre et la dacite ont été découverts dans la même US 103, à des profondeurs comprises entre 43 et 49 cm. Trois autres fragments de dacite ont été mis au jour dans le Sondage 2, entre 38 et 45 cm de profondeur (à la base et juste au-dessous de l’US 201).


Figure 6 : Coupe stratigraphique du Sondage 1 de Montravail. Dessin : Eric Gelliot et Marine Durocher.


  Les vestiges de Montravail fournissent des indices sur l’affiliation culturelle et l’âge des pétroglyphes. Les visages gravés rappellent un bon nombre de représentations rupestres des Antilles ; l’un deux, doté d’une bouche en forme de trident, permet d’établir un lien précis avec les pétroglyphes du Galion (dont le style est par ailleurs atypique). L’iconographie de Montravail a aussi été rapprochée de celle de la céramique saladoïde (Casagrande 2014). D’ailleurs, de la céramique du Saladoïde Cedrosan Moyen/Récent (350-700 après J.-C.) est apparue dans les sondages creusés à Montravail en 2007 (Berthé et Bérard 2013). Cette phase est marquée par des changements culturels importants, une forte augmentation du nombre de sites et une diversification des lieux d’implantation (Bérard et Vidal 2003, Berthé et Bérard 2013).
  Mais quelle pouvait être la fonction de l’art rupestre de Montravail ? S’il est avéré que des blocs ont été déplacés, cela reflèterait l’importance qu’attachaient les communautés impliquées aux manifestations rupestres. D’autre part, il faut souligner la rareté du mobilier associé, et la distance de plusieurs kilomètres qui sépare les roches gravées des sites d’occupation amérindiens les plus proches connus. Nous en venons à conclure que ces roches avaient vraisemblablement un usage rituel, pour une assistance discrète.

Bibliographie
Bérard, Benoit et Nathalie Vidal
2003 : « Essai de géographie amérindienne de la Martinique ». In: Actes du XIXème Congrès de l’Association Internationale d’Archéologie de la Caraïbe, Aruba, 22-28 juillet 2001: 22-35. National Archaeological Museum Aruba. Oranjestad. 
Berthé, Agnès et Benoit Bérard
2013 : « Le Diamant et l’occupation saladoïde cedrosane moyenne-récente de la Martinique ». In : Martinique, Terre amérindienne. Une approche pluridisciplinaire (B. Bérard, coord.) : 51-62. Sidestone Press. Leiden.
Casagrande, Fabrice
2009 : « Sainte-Luce, Montravail ». In : Bilan scientifique 2007 : 21-22. Direction Régionale des Affaires Culturelles de Martinique, Service Régional de l’Archéologie. Fort-de-France.
2014 : « Una interpretación de la distribución de grabados rupestres en el bosque de Montravail (Sainte-Luce, Martinique, Antillas Francesas) ». In: Rupestreweb, http://www.rupestreweb.info/bosquemontravail.html (consulté, pour la dernière fois, en avril 2016).
Dubelaar, Cornelis N. 
1995 : The Petroglyphs of the Lesser Antilles, the Virgin Islands and Trinidad. Publications of the Foundation for Scientific Research in the Caribbean Region, N°35. Amsterdam.
Gilbert, Alain
1990 : Les pétroglyphes de la Martinique et de la Guadeloupe, Petites Antilles. Communication présentée au Congrès Cinquantenaire de la Sociedad Espeleologica de Cuba, La Havane, 15-19 janvier 1990.
Jönsson Marquet, Sofia 
2002 : Les pétroglyphes des Petites Antilles Méridionales : contextes physique et culturel. British Archaeological Reports, International Series 1051, Paris monographs in American archaeology 11 (E. Taladoire, coord.). Oxford.
Mattioni, Mario
1973 : « Communication sur les pétroglyphes de la Martinique ». In : Actes du IVe congrès international d'étude des civilisations précolombiennes des Petites Antilles, Sainte-Lucie, 1971 : 25-32. Saint Lucia Archeological and Historical Society. Castries.
Perrot-Minnot, Sébastien, Eric Gelliot et Philippe Costa
2015 : Opération de contextualisation de l’art rupestre amérindien de la Martinique. Rapport remis à la Direction des Affaires Culturelles de Martinique. Fort-de-France.
Petitjean-Roget, Henry
1975 : Contribution à l'étude de la préhistoire des Petites Antilles. Thèse de doctorat de 3° cycle, Ecole Pratique des Hautes Etudes. Paris.
2015 : Archéologie des Petites Antilles : chronologies, art céramique, art rupestre. IACA. Basse-Terre.
Richard, Gérard
2009 : « The rock art of Guadeloupe, French West Indies ». In : Rock art of the Caribbean (M. H. Hayward, L.-G. Atkinson et M. A. Cinquino) : 137-146. University of Alabama Press. Tuscaloosa.
Vidal, Nathalie
1993 : « Sainte-Luce : pétroglyphes de Montravail ». In : Bilan scientifique 1992 : 27. Direction Régionale des Affaires Culturelles de Martinique, Service Régional de l’Archéologie. Fort-de-France.
(Écrit en avril 2016). 



 



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